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mardi 23 août 2011

L'aviateur




IMAGE & TEXTE ©Sybille TDLC
CONCEPTION ©Ptoma Martial / Publié dans "CYPRINE" en 2011
TRADUCTION ANGLAISE ©Karin Millet-Besson



"L'AVIATEUR"


Bien-sur c'est une chance, et je dirai même un miracle, si je l'ai trouvé dans les affaires de grand-mère - ce monceau des choses inutiles et poussiéreuses dont parfois on doit même chercher le sens, la questionner alors qu'elle répond vaguement avec un petit air de mépris dans les yeux - un vrai miracle. Cela fait près d'un an que je le possède mais près de deux que cela à commencé, à raison d'une nuit par mois. Quand le pleine lune approche, tout le monde commence à devenir nerveux, par exemple mon frère se tord les mains de manière ridicule et ma soeur commence à faire des provisions de bonbons tout comme s'ils devaient venir à disparaitre dans les jours qui viennent. Enfin, cela arrive, la nuit se fait et imperceptiblement on les entend jusqu'à ce que cela devienne si insupportable que l'on veuille presque se percer les tympans avec des aiguilles à tricoter : les cris des arbres les nuits de pleine lune... et autant le dire tout de suite, des cris de mort.

Avant j'étais comme tout le monde ici : je les entendais très distinctement, et même je tenais un journal où je retraçais, par ordre d'arrivée, chaque cris et leur appartenance.

Cela donnait quelque chose comme ça :

00H07 Le mari de Sophia. K.

00H 12  Les tout petits jumeaux de Alice. B
(car les jumeaux de Alice. B sont morts mystérieusement à l'âge de trois mois.
Le mystère est la version officielle mais moi je sais sans aucun doute ce qu'il s'est passé.)

00H54 La très jeune Magda. L que je haissais profondément.

01H18 Mon père...

01H35 Le cousin alcoolique de ma mère qui avait la passion des lézards.

etc... etc...

Mais cela, c'était avant que je possède mon casque : celui-ci a appartenu à l'un des membres de ma famille dans une époque plus que lointaine dont presque plus personne ne se souvient. Évidemment j'ai dû le remettre en état, j'ai cousu de la peau de lapin à l'intérieur et j'ai ajouté du coton au niveau des oreilles comme je le fais dans mes soutiens-gorges. Son efficacité est parfaite et je suis absolument la seule à en avoir un dans tout le village aussi il va sans dire que tout le monde me l'envie.

Cet été, la Mairie a fait un décret interdisant d'enterrer les morts près des arbres puis il fut ensuite décidé de sortir tout ce fatras d'os des cimetières alentour et les morts doivent maintenant être brûlés comme de vulgaires saucisses de barbecue. Mais cela ne change rien.
Rien. Les arbres sont ce qu'ils sont, n'est-ce pas ? Des centaines d'années de racines et de sève battante qui monte toujours un peu plus vers le ciel. Et les vivants ne peuvent rien à tout cela. Alors même dans le monde de plastique où je vis, les gens du passé continuent de crier pour que l'on ne les oublies pas. Il crient leurs vies minuscules, leurs douleurs humaines, leurs envies, ils réclament justice et même parfois de l'amour...

Ces nuits là, ma mère et ma soeur descendent à la cave en se donnant la main avec un faux air détaché, s'accrochant pitoyablement à l'organisation dérisoire des heures à venir. Ma soeur tient le panier de pique-nique et ma mère un sac remplit de chaussettes à raccommoder, des magazines de mode qu'elles n'ont jamais le courage de feuilleter, des boules Quiès offertent par la ville (qui ne servent strictement à rien ) et toutes sortes d'huiles essentielles pour se masser le visage ou les pieds.
Moi, je ne fais rien, je reste dans ma chambre allongée sur mon lit, la tête dans la chaleur animal du casque de l'aviateur et je pense à lui : ce fantôme du passé qui me protège de tous ces cris dégoutants.
Ma famille m'en veux et pense que je suis égoiste. D'ailleurs l'autre jour, alors que je sortais de la bibliothèque, Claudio et son abruti de copain qui a une tête d'écureuil sont venues vers moi pour m'intimider en prenant des airs de menaces qu'ils ont vu dans des films :

"Un jour tu vas te faire tuer petite conne prétentieuse,
y'a plein de gens qui veulent ton casque en ville,
t'as intérêt à bien te planquer ! "

Je m'en fous.
Mon idiot de frère dit que je pourrai être la fille la plus riche de part chez nous... que je n'ai qu'à vendre le casque et supporter les cris comme les autres. Mais ça n'arrivera jamais parce- que je préfère mourir que t'entendre les voix.

Quand la lune redevient croissant, tout cela s'arrête. Alors je peux sortir à nouveau dans la nuit débutante pour écouter les minuscules grenouilles. Peut-êtres connaissez-vous cela ?  Elles font des bruits qui ressemblent aux chants des humains qui peuplent l'Amazonie. Un son qui résonne comme dans du bois, entre l'animal et le végétal. Le son du vivant.


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"THE AVIATOR"

Of course , it's a chance and I would say that it's just a miracle if I found it in Grand Ma's things - that heap of useless and dusty things of which you must even search for the meaning- questioning her while she answers imprecisely with an air of contempt in her eyes- a real miracle.
It 's about one year since I own it but it's nearly two years ago that I began at the rate of one night every month.
When the full moon approaches, everybody begins becoming nervous, for example , my brother wrings his hands in a ridiculous way and my sister begins to stock up with sweeties exactly as if they were to disappear next days.
At last , it happens , night comes and imperceptibly we hear them until it becomes so intolerable that you almost wish to burst your ears with knitting needles :
the screams of the trees during the new moon nights... and I prefer to tell you now , deathly screams .
Previously I was like anybody here : I heard them very clearly and I even kept a diary in which I related , in order of arrival , each scream and its origin.
It looked like this :
12.07 am The husband of Sophia K
12.12 am The small twins of Alice B
( because the twins of Alice B died misteriously at the age of three months.
Mistery is the official version but I know without a doubt what happened . )
12.54 am The very young Magda L whom I deeply hated .
01.18 am My father ...
01.35 am The alcoholic cousin of my mother , who was crazy about lizards.
and so on ...

But it was before I owned my helmet : this one belonged to one of the members of my familyat a distant time which almost nobody can remember.
Of course , I had to repair it, I sewed some rabbit skin inside and I added cotton wool at the ears as I do in my bras. Its efficiency is perfect and I'm absolutely alone to have one in the whole village , therefore it goes without saying that everybody is envious of mine.
This summer , the town council published an order which forbids to bury the dead near the trees then they decided to dig up all that jumble of bones from the cemetaries around and now the dead must be burnt like ordinary sausages for barbecue.
But it doesn't change anything.
Anything.
Trees are what they are , aren't they ?
Hundreds of years of roots and beating sap which always rise a little more towards the sky. And the living can't do anything with that. So, even in the plastic world where I'm living, people from the past keep on screaming for not to be forgotten. They shout their small life , their human griefs, their desires , they claim justice and even sometimes love...

Those nights , my mother and my sister go down to the cellar, shaking their hands with an air of detachment, pitifully clinging to the pathetic organization of the next hours . My sister holds the picnic basket and my mother a bag full of socks to be mended, of fashion magazines which they never feel up to leaf,earplugs given by the town council (which are strictly useless ) and all kinds of essential oils for the massage of the face or the feet.
Me , I do nothing , I stay in my bedroom lying on my bed, my head in the animal heat of the aviator's helmet and I think to him:
this ghost of the past who protects me from all these disgusting screams.
My family has a grudge against me and thinks I am selfish.
Moreover, the other day , while I was coming out of the library, Claudio and his stupid friend who has a squirrel face , came to me to intimidate me, adopting a threatening air which they saw in movies :
" One day, you're gonna be killed, pretentious bloody idiot,
there's a lot of people in town who want your helmet,
you really should take cover ! "
I don't care.
My stupid brother says I could be the richest girl in these regions...
I just have to sell the helmet and bear the screams like anybody else.
But it will never happen because I prefer to die than to hear the voices.
When the moon becomes full again , everything stops.
Then I can go out again in the former night to hear the small frogs.
Maybe you know that ?
They make noises which sound like the songs of human who live in Amazonia.
A sound which echoes like wood, between animal and vegetable.
The sound of the living.

©STDLC